'' Le Théâtre Exposé | Une histoire de la performance sur la Côte d'Azur de 1951 à nos jours

Le Théâtre Exposé

Concepteur: 
Jean-Claude Bussi
Executant: 
Jean-Claude Bussi
Daniel Biga
Jean-Marc Costantino
Catherine Delserre
Francis Godard
Marie-Jeanne Laurent
Paul Laurent
Pierre Lhiabastres
Alice Pieffort
Marc Roux
Paula Szabo
Organisateur: 
Jean-Claude Bussi
Contexte théorique: 
Le Théâtre Exposé

Vers la fin janvier/début février, je souhaiterais faire une expérience qui se situe sans doute entre l'exposition et la représentation.
Ce spectacle, intitulé Théâtre Exposé constitue une nouvelle expérience de L’ATELIER-CREATION. Je ne pense pas qu’elle soit prévue pour être renouvelée un grand nombre de fois, c’est plutôt l’évènement qui est intéressant, et c’est à partir de celui-là que nous verrons le développement.
Ce travail est plus spécialement proposé à : Marie-Jeanne Laurent, Paul Laurent, Alice Pieffort, Marc Roux, Daniel Biga, J.M. Costantino, F. Godard, A. Goursonnet, R. Glang, J.Y. Linsolas, Catherine Delserre, (et d'autres).

Je demanderais à ces personnes (que j'ai choisies pour des raisons diverses, et notamment pour faire participer les personnalités différentes) d'abord un texte qu'on enregistrera, puis nous aménagerons un espace (sans doute un cube), et avec ces personnes l’ensemble sera "exposé" (double sens du terme).
Cela demandera un petit travail en commun et un travail individuel.
Il n'y aura pas de répétition globale, si ce n'est une simple mise en place. "Les exposants" seront sans doute présentés ensemble et à tour de rôle.
Le double intérêt de ce travail :
celui pour les participants
celui pour les « visiteurs »
Le rapport qui se créera donnera des éléments pour une expérience suivante.

Cette « littérature » brute devrait dévoiler des aspects intéressants du comportement.
Je n'ai pas encore trouvé le lieu, mais je pense à un gymnase, ou une grande salle vide, compte-tenu qu'il faut un espace simple et assez vaste.
Je pense qu'une rencontre est utile, disons aussi le 4 décembre, voir document ci-joint.

Dans le cas où certains d'entre vous ne pourraient pas venir, ce n'est pas grave, on se recontactera.
L'esprit du travail étant collectif dans ce sens global de l'expérience, mais pas dans l’interprétation.

Au plaisir de vous rencontrer bientôt.
Le Théâtre Exposé et Célébral sont une partie d'un mouvement considérable qui s'est créé autour de et par le CRIA (Centre de Recherches et d'Intervention Artistiques) à Nice entre 1975 et 1985 approximativement.

La somme de spectacles, d'animations en institutions (scolaire et santé), ainsi que participations à différents mouvements sociaux produite par le CRIA est impressionnante.

On rappellera aussi que le climat social était plutôt favorable à ce type de création. Ces deux types de création s'inspirent aussi de l'idée de J.-C. Bussi, créateur du CRIA et instigateur de Théâtre-Exposé et Célébral : « Il y a en chacun de nous un point de résistance à l'aliénation ».

En général les performances des plasticiens modernes veulent toujours s'inscrire dans une « historicisation » de l'art contemporain, fantasmée depuis que Duchamp en a déclenché le processus (ça c'est mon opinion...). Les performances sont donc largement photographiées, filmées, datées, mises en catalogue pour figurer dans le cursus et le book de l'artiste.

Rien de tout cela dans nos tentatives. Elles furent réalisées « à mains nues », dans une dynamique d'improvisation toujours proche du chaos, sorte de free jazz théâtral, gouvernées par la seule introspection des acteurs, par ailleurs parfaitement en sécurité dans la compagnie des subjectivités réunies dans ces circonstances.

Critères de base :

Entre 6 et 12 intervenants « juxtaposés » dans le même espace de jeu, chaque intervenant est cloisonné dans son propre imaginaire avec lequel il dialogue en agissant des situations.

Le Théâtre Exposé est en intérieur, il a une durée limitée.

Le Célébral est en extérieur, il peut durer entre 3h et 2 journées.

Les interactions entre intervenants ne sont pas recommandées.

En général la progression dramatique est muette, sans texte, bâtie autour d'objets, de costumes, de mises en situation, d'événements corporels, posturaux ; la référence essentielle est cependant plus théâtrale que plastique. En ce sans le happening des années 1960 en est une référence, la provocation publique en moins.
Le vocabulaire, les figures et styles, et l'imagerie en sont plutôt archaïsantes, et les signes de la modernité absents. Des sortes de rituels en cours de bricolage, et qui ne verront pas leur conclusion.

Ce qui est visé c'est une exposition expressive de soi, généralement en dehors de tout public.

On peut citer ici J.-C. Bussi : « Dans sa geste face au soleil, il expose les mouvements de sa pensée dans l'univers microscopique qu'il a établi. »

Plusieurs actions de ce type ont été réalisées entre 1978 et 1983 ; en voici la liste :

Théâtre Exposé MJC Gorbella 1978
Masques Valbonne chez Émile de la Tour 1979
Les Valises Sainte Marguerite Nice 1979
Les Objets de la Félicité Montagne de Beuil 1980
Interventions (sans titre) Village de Beuil 1981
Célébral Forêt de la Sanguinière Esteng 1982
Célébral Mont Agel 1983

[texte rédigé en 2012, NDLR]
Effectuations: 
Documents: 

Affiche

Type: 
Imprimé
Technique description référence: 
Affiche
ALOCCO

Texte d'intention

Type: 
Imprimé
Technique description référence: 
Texte d'intention
CRIA__

Document préparatoire

Type: 
Imprimé
Technique description référence: 
Document préparatoire
CRIA__
Description: 
Comme dans une galerie, « 12 personnages » s'exposent. Cette recherche nous fera découvrir leurs univers personnel : notre univers ?
Parmi les intentions contenues dans cette expérience, nous pouvons citer :
- comment jouer son propre personnage ?
- les choix opérés dans son univers personnel : les mots, les gestes, les objets...
- passage de la peinture à la peinture « animée », jeu et comportement.
- l'ensemble des exemples montrés, constituent-il un univers qui nous concerne directement ?...
Jean-Claude Bussi a fait travailler, séparément, chaque personnage qui découvrira à son tour les travaux des autres présentés à la MJC Gorbella le samedi 18 février à 19h30 (suivant le nombre de spectateurs, séances supplémentaires à 21h30).
Nous sommes tous isolés, nous sommes, à tour de rôle, les voyeurs les uns des autres. On a une certaine inquiétude à fournir sa prestation, mais elle est tempérée par l'intérêt de celles des autres. Bien que séparés, nous sommes souterrainement solidaires.

Ce qui était montré : une interprétation, à distance, de soi-même, avec ou dans un dispositif proposé par Jean-Claude. Le dispositif non pas irréalise ou théâtralise le moi de « l'exposeur », plutôt il le catalyse, et même le piège.

Chacun a tellement envie de parler de soi, alors Jean-Claude le propose, et quand on y est, on y est. L'effet est parfois inattendu : on voulait être pathétique, et on est un peu rigolo. Il y aurait quelque chose à dire sur la perception. On propose une chose et les gens en voient une autre. On aurait pu mesurer la distance qu'il y a entre comment chacun s'est vu et comment il a été vu par les autres. Problème quotidien et exercice fastidieux, mais cette expérience-là peut poser précisément cette question-là.

Il me semble que le Théâtre Exposé consiste à supprimer le(s) paramètre(s) de l'INTERACTION. Nous sommes posés les uns à côté des autres, dans des cases, des bulles, des tiroirs, pas d'interaction pour la préparation, pas d'interaction pour la réalisation.

Quel est le résultat de cette expérience ?

C'est l'apparition de correspondances, similitudes, résonances dans nos discours personnels, en ce que ce phénomène est inconscient. Un inconscient collectif, ou un inconscient de ce micro-milieu que nous représentons. Des symboles communs interprétés différemment, les singes de reconnaissance, le langage hors des mots qui nous fait être ensemble.

Cette absence d'interactions, de plus, détermine, offre, produit une grande liberté pour chaque joueur – alors que le théâtre est toujours un travail collectif, et son résultat un compromis. Cette liberté est simple, concrète, c'est celle qui fait qu'on « se permet de ». Le spectateur doit être libre aussi c'est-à-dire en ce qui le concerne sans préjugés, sans a priori, sans filtres. Ça, c'est tellement difficile que le Théâtre Exposé ne se pose pas le problème du public et qu'il peut être joué sans public, avec les seuls exposants.

Les conditions pratiques ont ici une importance particulière. On est dans un véritable no man's land. Pas de public. Pas de rapport de force ou de séduction avec une audience à conquérir, d'abord. Ça ne supprime pas le trac, ça fait apparaître une variante de trac qui est celle du groupe de psychothérapie : tout nu devant ses pairs. Trac, mais pas tractation.

On fait ça à la campagne, pour nous tous seuls. On se retrouve dans ces zones vierges, désencombrées des significations désuètes, des tendances à la mode, des symboles lourdauds. Chaque geste redevient une première expérience, et l'ensemble donc une expérimentation tranquille, dans un labo de plein air, loin du blabla théorisant. Ce travail de plein air nous renvoie à d'autres expériences, en particulier picturales. Ce terrain neutre et vierge où peut s'essayer et surtout s'autoriser autre chose, c'est aussi le fin fond de la province. Province administrativo-économique, et aussi province du discours et de l'imaginaire. Là où sont possibles les essais bancals, les volte-faces esthétiques, les démonstrations par l'absurde loin des hommes up-to-date du théâtre, de la galerie, des médias.

Loin de tout ça, et après, que reste-t-il à la mémoire, quel est l'ailleurs entrevu ? L'imaginaire de chacun, un tout petit morceau bien sûr. Le petit théâtre intérieur, la mythologie personnelle sans grands noms ni hauts faits d'armes.

Chacun de nous se voit et se revoit comme un personnage symbolique de sa propre vie. Il rehausse ses tics, ses manies, ses stéréotypes, son petit cartable de termes-clés avec lesquels la plus grande partie de sa vie est organisée.

Tout cela n'est pas étriqué, c'est plutôt un condensé, structuré, homogène. Durant un moment net, clair et précis, on est ce que l'on est, sans interactions là encore, en toute subjectivité.

En ce sens c'est un moment d'exhibitionnisme pur, sans perversité, plein d'abandon, de renoncement, sans agressivité ni provocation, triste ou gai, mais pas méchant, pas désespéré.

En somme, un début de révélation du caractère profond, décrassé des nuances, des nuisances, des usances sociales. L'une, si sûre d'elle, a l'air vraiment paumé ; l'autre si mesuré abandonne toute prudence. Dans chaque tableau il y a un homme, une femme plus vrais, si l'on veut bien ne pas faire de faux sens sur ce mot. Plus réels ? Peut-être ce théâtre exposé au dispositif si expérimental, aux personnages si découpés, est tout à fait réaliste, imaginairement parlant.

Et pour finir, ne pas oublier l'arbitraire de ces silhouettes, la fragilité de cet imaginaire personnel, exprimé dans un petit groupe durant un moment privilégié. Ne pas oublier de cultiver le jardin intérieur où se promènent ces personnages, fantasques et inutiles, les protéger, et de temps en temps lors d'un crépuscule propice, se mettre à leur écoute. Ils ont des tas de choses à nous dire, mais ils parlent tout seuls.

(Septembre 1981)
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