Réalisés lors d'une performance les lundi 7 et mardi 8 juin 20101, les dessins "retracent le ressenti d'une jeune étudiante face à la découverte du territoire azuréen. L'artiste a invité Yuting Zhang, une élève de l'École de théâtre de Shangai où il a lui-même été formé, à l'accompagner lors de son séjour sur la Côte d'Azur. Son impression sur ce voyage guidera la main de l'artiste. Un dialogue s'initie alors entre Cai et Zhang.
D'abord le dessin, figuratif et abstrait, introduit un travail au fusain fait d'ombres portées et d'esquisses où des sujets naturels et cosmiques côtoient des figures féminines. Par un jeu de silhouettes évoquant le théâtre d'ombres chinois, Cai saisit les contours du corps du modèle. D'autres figures (la flore, l'architecture et les paysages locaux...) sont esquissées sur le vif sur du carton gris afin d'être découpées par des volontaires pour servir de patrons. Une vingtaine d'assistants, affairés ou à l'affût, participent au rituel, tout comme le public qui, par sa présence et son énergie, prend part à la création de l'œuvre. Il faut dire que le visuel est primordial dans les prestations orchestrées par Cai. Tout semble à la fois calculé et imprévisible. L'atmosphère qui s'en dégage, la mise en scène chorégraphiée, l'implication du modèle et des spectateurs nous renvoient de manière saisissante aux performances anthropométriques d'Yves Klein.
Déposé au sol, le dessin est en partie protégé à l'aide des patrons cartonnés et de papier glacé afin de recevoir différents types de poudre noire dont la granulométire et les propriétés chimiques attaqueront différement le papier. L'artiste retravaille alors ces figures avec ce mélange explosif fait de salpêtre, de soufre et de charbon de bois. Peu à peu le dessin est rigoureusement recouvert d'une succession de couche de matériaux d'emballage (papier de calligraphie chinoise, kraft, carton...). Des briques sont ensuite disposées par dessus de façon à exercer une pression localisée et ainsi contrôler l'intensité de l'embrasement. L'allumage des mèches déclenche alors une série de détonations qui ne durent que quelques secondes mais dont l'intensité générée est énorme. La combustion file sur le carton, une fumée blanchâtre s'en dégage. La mise à feu par son bruit, son éclat, son odeur, impressione. Elle donne le sentiment d'assister à un grand événement. Puis l'œuvre se découvre, laissant apparaître des traces d'instant figés dans un mouvement vital.
Restituant le souffle de l'explosion, l'œuvre est faite de petits mystères, de palimpsestes, d'écritures, d'esquisses, d'empreintes végétales ou humaines. Le contact du feu sur le papier donne naissance à des empreintes spectrales. sur un fond laissé brut, la combustion forme une aura brulante et fertile.
Ce résidu palpable et volatil exprime à merveille la présence avant l'absence, concept cher à Yves Klein dans ses Anthropométries. Image durable et spontanée émanant d'une énergie vitale, les dessins à la poudre noire décrivent, pour reprendre une expression de Yves Klein, des "états-moments" de la chair, du feu et de la nature. On pourrait d'ailleurs rapprocher les dessins de Cai où le végétal joue un rôle prépondérant des Cosmogonies d'Yves Klein qui, avec les empreintes de pluie et de vent sur le papier, subliment la force créatrice de la nature. Klein, dans sa quête d'absolu, a été un peintre du feu. Réalisant des empreintes de feu sur papier ou carton (Peinture de feu sans titre (F55), 1961), Klein superpose également à l'action de la flamme celle de l'eau (Carte de mars par l'eau et le feu (F83), 1961), puis y allie des empreintes de corps nus (Peinture de feu sans titre (F80), 1961), des traces d'or ou de peinture (Peinture feu couleur sans titre (EC6), ca. 1961)2.
Cai et Klein ont en commun une influence de la peinture traditionnelle asiatique. Leurs œuvres résultent d'un équilibre fragile entre le plein et le vide, l'ordre et le désordre; le maîtrisable et l'accidentel. Outre un séjour au Japon, ils partagent un certain art de la cérémonie et du rituel. Tous deux jouent littéralement avec le feu, avec sa signification culturelle et symbolique. Le feu, en tant que marqueur d'empreintes, les intéresse tout autant que son caractère spectaculaire et spirituel. En véritable démiurges, les artistes manipulent le souffle destructeur, transforment la matière, donne naissance à un nouvel état. Créateur d'événement, élément primordial, le feu devient une arme maîtrisable.
Présentée devant un parterre d'huile d'olive de plus de 130 m2, cette installation spectaculaire et poétique se présente comme un cyclorama donnant au spectateur l'impression d'immensité céleste et l'englobant au sein du processus artistique. Espace de projection donc et de contemplation. Proposition dans laquelle on s'immerge. L'eau et le feu, éléments primordiaux qui s'opposent et s'attirent mutuellement, créent une tension harmonieuse, symboles du Yin et du Yang. Invitant au recueillement et à l'ascension spirituelle, l'œuvre qui a donné son titre à l'exposition nous guide peu à peu vers une autre exploration."
Gilbert Perlein et Rébecca François, Mai 2010
1 - Le premier jour est destiné au travail graphique, le second, à la mise à feu des dessins.
2 - Les recherches plastiques de Cai comme celles de Klein sont liées à la couleur. Cai n'utilise pourtant pas de pigments. Les nuances sont rendues par la manipulation et la combustion des différentes poudres.