'' Édito | Une histoire de la performance sur la Côte d'Azur de 1951 à nos jours

Édito

Par Jean-Pierre Simon, directeur de la Villa Arson.

 

La Villa Arson mène depuis septembre 2007 – grâce au soutien constant du Conseil général des Alpes-Maritimes – un programme de recherche sur l’histoire de la performance sur la Côte d’Azur de 1951 à nos jours. Au départ ce projet est né d’une volonté de mener une étude sur la création dans cette région par delà les styles et les générations, mais aussi par delà les murs de notre établissement. Très vite il est apparu que la performance forme un lien qui traverse le temps avec une constante énergie, épousant ou croisant la plupart des courants de l’art-action des soixante dernières années, du retour des principes des avant-gardes dans les années 1950, aux grands bouleversements esthétiques des années 1960, à l’activisme des années 1970, à la réaction contre le retour du cadre dans les années 1980, à l’institutionnalisation de l’art dans les années 1990 et enfin au renouveau de l’esprit de l’action à partir du milieu des années 2000. Ce qui est passionnant dans cette aventure c’est qu’au-delà des pères fondateurs que sont Yves Klein, Arman et Ben, la Côte d’Azur a toujours su générer ou accueillir des artistes inventeurs de gestes et d’attitudes sans cesse renouvelés. Il n’est pas question d’ériger ce territoire comme une capitale ni comme une quelconque école, mais de dévoiler une contre-histoire de la Côte d’Azur, érigée face aux fastes et aux strass de la Riviera, portée par plusieurs générations d’artistes qui ont tous pour but de déstabiliser les codes et les conventions sociales, culturelles ou politiques. En ce sens, cette recherche s’appuie sur l’histoire de l’art depuis la fin de la seconde guerre mondiale tout en développant une véritable étude sociologique et anthropologique de tout un territoire.

 

La date du 30 juin 2012 correspond à la mise en ligne de l’ensemble des informations collectées par cette recherche : performance-art.fr. Il a fallu pour cela créer une base de données avec des nomenclatures spécifiquement adaptées au contenu, puis les faire évoluer avec le temps au gré de nos investigations. L’ergonomie et la conception graphique de ce site issu de la base de données ont été confiées au groupe g.u.i (www.g-u-i.net) expérimenté dans la transposition des médias dits variables (pratiques sonores, danse, performance) pour le web. En adéquation avec les caractéristiques de la performance, l’interface graphique, à la fois mouvante et aléatoire, fonctionne comme une plateforme de collaboration et de partage afin que les protagonistes de cette histoire puissent dans l’avenir enrichir les contenus. Première en France, et certainement l’une des premières de ce type dans le monde, cette base de données est donc destinée à être évolutive, pouvant également servir à des projets menés par des chercheurs ou des organismes intéressés par le développement de la performance hors de nos frontières, quels que soient les époques ou les courants.

 

Le 30 juin 2012 est aussi à la date de l’ouverture de l’exposition À la vie délibérée ! dont la scénographie a été conçue avec des étudiants de l’école supérieure d’arts plastiques de la Ville de Monaco (Pavillon Bosio), sous la coordination de leurs enseignants Mathilde Roman et Renaud Layrac. Conscients qu’organiser une exposition consacrée à la performance est en principe un contre-sens car il est impossible de restituer la vitalité d’une action par quelque objet ou document que ce soit, mais néanmoins animés par la volonté de mettre au jour de manière artistique et politique cette immense source d’informations collectées, l’accent a été mis sur la recherche menée par l’établissement depuis cinq ans. C’est ainsi que le parcours dans le centre d’art est conçu comme la restitution d’une enquête avec des centaines de documents réunis en seize salles. Afin d’éviter les classifications chronologiques ou nominatives, chaque salle rend compte des différentes topologies des actions (bord de mer, centre commercial, rue, village, bar, atelier d’artiste, espace alternatif, commerce, galerie…), prouvant que les artistes ont très souvent conquis leurs propres territoires en s’affranchissant des espaces traditionnels de la représentation. Tous ces documents (reproductions de photographies, d’affiches, de flyers, de dessins ou de courriers liés à des performances) sont scotchés au mur par un adhésif faisant office de cartel avec le nom de l’artiste, le titre de l’œuvre, la date et le lieu de l’action. En complément de l’accrochage, ce journal - réalisé par newpollution (Cyril Terrier) et coédité avec le journal La Strada - est distribué à chaque visiteur afin que ce dernier puisse également mener sa propre enquête en faisant le lien entre les documents présentés dans l’exposition et les descriptifs des performances édités au sein cette publication. Partant du principe qu’il ne reste bien souvent que des récits et des légendes une fois la performance accomplie, des enregistrements ont été réalisés ces derniers mois auprès d’une quarantaine d’artistes afin de recueillir leurs témoignages sur l’une de leurs actions. Tous ces récits sont accessibles dans la base de données et diffusés dans l’exposition par le biais de plusieurs dispositifs d’écoute. Aucune contrainte d’enregistrement n’a été fixée. Les résultats sont très variables. Certains collent au plus près du récit. D’autres s’en échappent. Mais la personnalité des artistes est ici parfaitement incarnée et tous témoignent d’un art délibérément tourné vers la vie. Car si la performance est l’art de la destitution des conventions et des codes artistiques et sociaux, elle est avant tout une ode à la vie et un choix de vie, À la vie délibérée !

 

Enfin, nous avons volontairement souhaité ne pas organiser de performances durant l’exposition. Nous nous en avions ni les moyens ni le temps, étant pris jusqu’à la dernière minute par la recherche. De plus, nous estimions qu’il aurait été contraire à la volonté de la performance de s’affranchir de l’institution, de son cadre et des contraintes, de proposer nous-mêmes des actions régulières dans nos murs. En revanche, de nombreuses structures de la Côte d’Azur profitent de l’occasion pour produire des performances durant tout l’été 2012 : Festivals du Peu de Bonson et ZIP de Barjols, mais aussi Le Dojo, Les Musées Nationaux, La Villa Caméline, La Station, KeskonFabrik, L’hôtel Windsor, Les galeries Loft, Espace à Vendre et Espace à Débattre, avec notamment le projet Voix Publiques et l’invitation faite à une dizaine d’artistes de jouer aux speakers’corner en créant des situations de parole publique dans les espaces périphériques des lieux (jardin, parking, terrasse, trottoir, place...). Les artistes auront toute liberté pour apparaître en prédicateurs, poètes, savants, conteurs, théoriciens, pamphlétaires, philosophes, voire mimes… prouvant ainsi que l’esprit de l’action est toujours aussi vivace dans cette région.

 

Jean-Pierre Simon

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